LES ARTS
: La Musique
La musique tient lieu d’art millénaire en Inde et a toujours joué un
rôle considérable dans la vie des Indiens en tant que source
d’inspiration religieuse, d’expression culturelle ou de pur
divertissement. Dans l’iconographie hindoue, les ghandarvas (musiciens
célestes) apparaissent au-dessus des dieux incarnés. Sarasvati, à titre
de déesse des arts, est représentée avec une vina. Shiva, Brama,
Ganesh, Hanuman sont également figurés avec des instruments de
percussion. Nous distinguerons quatre catégories de musique aux fins de
cette rubrique : la musique populaire, la musique folklorique, le
bhajan (chant dévotionnel) et la musique classique indienne.
Joueur de sarangi
photo Benjamin Chodroff
La musique populaire
La musique populaire la plus répandue provient des films de type
Bollywood. C’est une musique romantique et éclectique qui a intégré, en
plus des orchestrations indiennes traditionnelles, des influences
occidentales, africaines ou sud-américaines donnant parfois lieu à
toutes sortes de mélanges. La qualité des compositions peut donc être
variable, allant du médiocre à l’excellent.
La musique pop indienne ou indi-pop connait aussi un succès
grandissant ces dernières années. Elle représente plus de 30 % de la
diffusion de la chaîne MTV-Inde, la plus en vogue du pays.
Des Indiens émigrés, en provenance du Royaume-Uni
surtout, ont créé toutes sortes de synthèses musicales qu’ils ont
réintroduites en Inde. C’est le cas du bhangra, style originaire du
Penjab, qu’ils ont associé au rap, au reggae, à la techno ou au dance
comme l’a fait le joueur de tabla Talvin Singh.
La musique folklorique
Joueur de shehnai
photo Parag Mahalley
L’Inde possède une très
riche tradition de musique folklorique avec un style particulier pour
chaque région. Les villageois baignent dans cette musique depuis les
premiers mois de leur enfance et c’est à travers les nombreuses
activités sociales du village qu’ils pourront apprendre à jouer d’un
instrument ou chanter. Car, contrairement à la musique classique
indienne qui se transmet de maître à disciple et requiert un
apprentissage de toute une vie, le musicien villageois ne peut
consacrer tout son temps à sa formation musicale, les conditions de la
vie rurale ne le permettent pas. La musique joue un rôle fondamental
dans les mariages, les fiançailles, les naissances, les plantations et
les récoltes. À chaque activité correspond un chant où les villageois
expriment leurs espoirs, aspirations et angoisses. La musique peut
parfois être utilisée à des fins éducatives. Par exemple, dans l’Andhra
Pradesh, on recourt à des chansons pour l’éducation sexuelle des jeunes
filles après leurs premières menstruations. Les femmes les plus âgées
se réunissent avec la jeune fille dans une maison. Elles leurs offrent
leurs premiers langa
(semi-sari pour filles non mariées), une
nourriture riche, des cadeaux et leurs fredonnent des chansons
grivoises
pour les introduire dans la communauté féminine et les sensibiliser à
leurs futurs devoirs conjugaux.
Joueuese de dholak
photo vaishalee
Les instruments utilisés dans la musique folklorique sont en général
différents de ceux de la musique classique indienne. Le tabla est
rarement employé. On met en oeuvre une grande diversité d’instruments
de percussion comme le daf, le dholak et le nal. Le sitar et le sarode,
communs à la musique classique indienne, sont également absents de la
musique folklorique. On fait appel à différentes flûtes telles le
bansuri, flûte de bambou, une variété de luths comme le dotar, l’ektar
, le rabab ou un violon simple comme le saringda. La liste des
instruments est interminable, le même instrument porte un nom différent
selon les dialectes en usage. Ils sont la plupart du temps fabriqués
par les musiciens eux-mêmes et non pas par des artisans comme pour la
musique classique indienne.
Le bhajan
Le bhajan (parfois appelé kirtan) désigne tout type de chant
dévotionnel, le plus souvent une prière chantée en l'honneur de la
divinité. Il n’a pas de forme fixe, pouvant être d’expression aussi
simple que la récitation d’un mantra ou très sophistiqué comme le
chant dhrupad,
respectant la structure des ragas. Le bhajan
s’est fortement popularisé à la suite de l’expansion du mouvement bhakti,
parti du sud de l’Inde pour s’étendre dans tout le sous-continent
pendant l’ère moghole. On cite parmi les principaux compositeurs
de cette époque Kabîr, Meera Bai, Surdas, Tulsidas et Guru Nanak.
Les bhajans sont chantés le plus souvent dans les temples, les
ashrams et les maisons. Ils sont habituellement chantés en groupe. Un
leader chante la première phrase et le groupe enchaîne. Les épisodes du
Ramayana et du Mahabharata fournissent des thèmes très populaires pour
les bhajans d’inspiration hindoue. Ils sont souvent accompagnés
d’instruments de musique comme l’harmonium et les percussions.
Nous retiendrons ici deux styles de bhajan qui ont connu une
certaine notoriété en Occident, le quawwalî et les chants Bâul.
Tabla
photo Kaustav Bhattatcharya
Le qawwalî.
Ce genre musical, qui exprime une dévotion soufie, trouve son
origine dans l’Inde du Nord du XIVe siècle. Ce sont des chants qui se
classent en deux groupes : les hamd ou manqabat qui expriment des
chants dévotionnels dédiés à Allah et les ghazal qui désignent des
chants profanes célébrant le vin ou l'amour. Ce style de musique a
gagné une renommée internationale par l'intermédiaire de son défunt
maître pakistanais, Nusrat Fateh Ali Khan. Les ensembles qawwalî se
composent en général de neuf personnes: deux chanteurs principaux qui
jouent aussi de l’harmonium, cinq chanteurs pour les refrains et deux
joueurs de percussion dont un pour le tabla.
Les Bâuls
Les Bâuls (fous en bengali) désignent des groupes de musiciens
nomades qui parcourent le Bengale en chantant des chants religieux et
mendiant pour leur subsistance. Ils adhèrent à une philosophie proche
du poète et philosophe Kabîr. C’est une musique à la fois vivante et
inspirée qui a été proclamée en 2005 chef-d'œuvre du patrimoine oral et
immatériel de l’humanité. Les Bâuls ont influencé la poésie de
Rabindranath Tagore. Parmi leurs instruments de musique, on retrouve le
plus souvent l’ektar (luth à une corde), le dotara (luth à plusieurs
cordes), le dugi (petit tambour) ou d’autres percussions, des cymbales
et la flûte de bambou. Le chant est exécuté par un soliste rejoint au
refrain par les musiciens. Les paroles concernent des choses simples,
des problèmes matériels, de la souffrance et de l’amour, des dilemmes
moraux ou spirituels. Les Bâuls chantent partout, sur la route, dans
les trains, les autobus, les festivals et les salles de spectacles des
pays occidentaux.
Sitar
photo retorta_net
La musique classique
On distingue en général deux traditions principales, la musique
hindoustani pour le Nord et l’Inde centrale et la musique carnatique
pour le Sud. Si les deux traditions se réclament d’origine védique, il
semble qu’une séparation, à partir d’une racine commune, se soit
produite vers le XIIIe siècle. Avec les invasions musulmanes au Nord et
l’arrivée des Moghols, l’art musical de cette partie du sous-continent
aurait subi de fortes influences arabo-persanes. Les deux styles
cependant restent fondés sur le système mélodique des ragas et sur le
système rythmique des talas.
Le raga définit le cadre mélodique du morceau joué. À chaque raga
est associé un sentiment, une saison, un moment de la journée (aube,
crépuscule, etc.). Le raga spécifie les notes à utiliser
librement et celles à éviter, les mouvements ascendants et descendants,
la gamme, etc. Le musicien ou chanteur pourra improviser des mélodies
dans le cadre de ces règles. Si vous assistez à un concert de musique classique indienne, vous
constaterez que l’exécution d’un raga se découpe en trois étapes. La
première se nomme l’alap, en
général la portion la plus longue, elle se
joue sans percussions et installe en quelque sorte l’ambiance du raga.
C’est une introduction lente et délicate sur laquelle reposera tout le
reste. La deuxième étape, le jog,
introduit un rythme de base, les
percussions entrent en jeu, le rythme s’accélère progressivement et se
complexifie. La troisième étape, le jhala,
qui désigne le mouvement
final du raga, s’accompagne de rythmes très rapides, en équilibre avec
le jeu du soliste, pour se terminer brusquement. L’exécution d’un raga
peut durer d’une vingtaine de minutes à plusieurs heures.
Le système des talas
représente probablement la science des rythmes
la plus élaborée du monde. Les possibilités rythmiques s’avèrent
considérables et peuvent être très complexes, demandant au musicien un
long apprentissage. Les talas décrivent la façon de frapper un tambour:
sur le rebord, au centre, avec le bout des doigts, le plat de la main,
de la main gauche ou droite, ou des deux mains, légèrement ou avec
force, etc.
Tampura
photo Djumbo
La musique hindoustani
La musique vocale occupe une place essentielle dans la musique
classique indienne. Les trois formes vocales comprennent le Dhrupad, le
Khyal et la thumri. Le premier se veut le plus
ancien et le plus
prestigieux. Il connut un déclin à partir du XVIIIe siècle au
profit du khyal, un nouveau genre qui gagnait en notoriété parce que
moins contraignant dans ses règles, laissant le champ libre à une plus
grande virtuosité dans l’exécution. Des instruments de musique comme le
sitar et le sarode émergeaient en popularité et s’adaptaient mal à
l’accompagnement du chant Dhrupad. Il se trouvait en voie de
disparition lorsque des membres de la famille Dagar, illustre famille
pratiquant ce style depuis plus de 20 générations, furent invités en
Europe dans les années soixante par le musicologue Alain Daniélou. La
tournée fut un succès et enregistrée. Le style connut ainsi une
renaissance et quelques autres familles entretiennent aujourd’hui ce
style avec les Dagars.
Le Dhrupad se conforme aux principes du raga. Débutant par un long
prélude sans percussions, le chanteur ou le duo prononce des syllabes
qui n’ont pas de sens ou de courtes phrases stéréotypées. Puis la
percussion enchaîne, sollicitant d’autres qualités de la part des
chanteurs.
Dans le chant Khyal, beaucoup plus populaire, les capacités vocales
des chanteurs doivent s’étendre sur deux octaves et demie à trois
octaves. Le prélude est plus bref et suivi d’un chant portant sur un
poème lyrique de deux couplets d'inspiration religieuse ou romantique.
Le récital se termine fréquemment par un bhajan.
Sarode
photo Shayar Gautam
La thumri désigne un art vocal semi-classique qui exprime des
paroles romantiques ou dévotionnelles, tournant souvent autour de
l’amour d’une jeune fille pour Krishna. Ce style est caractérisé par sa
sensualité et sa souplesse avec le système des ragas. Aujourd’hui, il
est chanté le plus souvent après un concert khyal.
Au cours des dernières décennies, la musique instrumentale a
surpassé en popularité la musique vocale (au Nord). Les instrumentistes
de musique indienne apprennent la théorie musicale par le chant, avant
d'étudier une technique instrumentale particulière. Un récital
instrumental suit les principes des ragas et des talas décrits
ci-dessus.
Les instruments de la musique hindoustani incluent la vina,
traditionnellement prédominante, mais qui a été largement dépassée
aujourd’hui par le sitar et le sarode (aux influences persanes). On
trouve d’autres instruments à cordes comme le surbahar (sitar à basse
tonalité), le sursingar
(large sarode), le santoor
(dulcimer d’origine
persane) et différents types de « slide guitar ». Parmi les instruments
à archets, on retrouve le sarangi
(jusqu’à 40 cordes), l’esraj
(12 à 15
cordes) et le violon. Pour les instruments à vent, on retrouve le
plus souvent le bansuri
(flûte de bambou), le shehnai
(flûte de 6 à 9
trous très utilisée dans les mariages et défilés parce qu’elle est
réputée attirer la chance), le samvadini
(harmonium indien).
Finalement, pour les percussions, le tabla et le phakavaj (tambour à
deux faces) sont les plus populaires.
La musique
carnatique
Joueur de vina
photo dalbera
On peut dire que la musique carnatique met l'accent sur la structure
et l'improvisation, alors que l'hindoustani développe l'expression et
le sentiment. Un concert de musique carnatique commence habituellement
par un varnam, un chant qui
peut durer de 30 minutes à plus d’une
heure. Le varnam figure aussi d’exercice vocal pour déployer la voix et
le contrôle du rythme. On enchaine par la suite avec les kritis, partie
principale du concert, souvent découpé en trois parties, le
pallavi (refrain), l’anupallavi (un second couplet)
puis le
charana, couplet final le plus
long des kritis.
Un récital de musique carnatique s’exécute en général avec un petit
ensemble de musiciens regroupant le soliste principal (normalement un
vocaliste), un accompagnement mélodique (un violon en général), un
accompagnement rythmique, le plus souvent un mridangam (tambour à deux
faces équivalent du pakhavaj au Nord)) et la tambura (qu’on nomme
tampura au Nord) qui produit un bourdon harmonique tout le long du
concert. D’autres instruments typiques que l’on rencontre incluent la
vina, la flûte et une variété d’instruments de percussion tel le ghatam
(pot de terre en argile cuite), le ganjira
(tambourin), le morsing
(genre de guimbarde) et le tavil
(tambour en forme de baril).