Éloigner les détritus
photo brewingluminous
Les Indiens sont très préoccupés de leur propreté corporelle. Ils se baignent plusieurs fois par jour, dans leur salle de bain pour la minorité qui en possède, dans un cours d'eau, un étang, un lac ou même une mare pour la grande majorité. Le bain n'est pas qu'un acte hygiénique, mais aussi un rituel. C'est-à-dire qu'il purifie l'esprit. Cet acte rituel précède la puja (offrande aux dieux), la visite aux temples ou une célébration importante. Il importe de comprendre que pour un hindou, une eau divinisée comme l’est la plupart des fleuves et des rivières, considérée comme sacrée, est propre puisqu'elle est pure d'un point de vue rituel, indépendamment de son niveau de pollution physique. Le Gange, dans la portion qui s'écoule devant Varanasi (Bénarès), possède un taux de coliformes par mètre cube d'eau se rapprochant de celui des égouts, ce qui n'empêche nullement les pèlerins de s'y émerger chaque matin.
La hiérarchie des castes est fondée sur la plus ou moins grande
permissivité du contact avec l'impur. Le principe général est qu'il est
interdit de toucher à la saleté, ou qu'elle se trouve. Aussi, pour
éviter cet attouchement, de nombreuses castes tout au long des siècles
ont été créées pour prendre en charge les tâches nécessitant un contact
avec la saleté. Ainsi, une caste est spécialisée pour laver le linge
(les dhobis), une autre pour les gros travaux de nettoyage, une autre
pour toucher les morts (les doms) et ainsi de suite. Plus une caste est
élevée, plus elle est sujette à des règles rituelles sévères et des
interdictions pointilleuses.
Les conséquences de cette attitude collective sont catastrophiques pour
l'environnement. Le paradoxe est que l'Inde se retrouve sale à force de
chercher la pureté de chacun. La rue, les parcs, les gares routières,
les trains, les autobus à l'arrivée d'un long trajet, les chambres
d'hôtel suite au séjour d'une famille indienne ont des allures de
fourrière municipale. Les Indiens balancent mégots, papiers usagés et
épluchures par terre dans les lieux publics ou par la fenêtre dans les
transports collectifs. L'idée est de repousser la saleté. Le matin, les
boutiquiers balaient leur devant de porte pour éloigner (et non
enlever)
les poussières et détritus au milieu de la chaussée ou chez le voisin.
On crache dans la rue et sur les trottoirs les jets de salive rouge du
bétel sans offenser personne.
scène fréquente en Inde
photo Richard Meury
Ainsi, si les règles de castes imposent que l'on soit scrupuleux en matière de propreté corporelle et que l'on entretienne rigoureusement sa maison, il semble que l'hindou ne se sente aucune responsabilité pour ce qui concerne les lieux publics, lieux par définition pollués puisque toutes les castes s'y côtoient. On accusera les balayeurs, une des plus basses castes d'intouchables, de ne pas faire leur travail. Ces attitudes sont de plus en plus dénoncées par certains Indiens et dans les journaux, avec un succès des plus relatifs. Si vous voyez donc traîner par terre dans le hall ou les corridors d'un hôtel des détritus pendant de longues heures, dans l'indifférence du maître d'hôtel, des serviteurs, des cuisiniers ou jardiniers, vous saurez qu'il vous faudra attendre le passage d'un intouchable pour effecuer le travail. L’état des lieux publics tient lieu de thème suscitant le plus grand nombre de critiques de la part des voyageurs de l’Inde.